Pierre Desranleau :

défenseur passionné

de la sécurité alimentaire

en Montérégie

Sains et Saufs a eu l’occasion de s’entretenir avec Pierre Desranleau, membre bénévole du conseil d’administration d’Alternative Aliment-Terre, une organisation dédiée à la sécurité alimentaire et à la lutte contre le gaspillage alimentaire en Montérégie. Il nous partage son parcours, ses motivations, ses visions pour l’avenir et les défis rencontrés en chemin.

 

Sains et Saufs (S&S) : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous impliquer en sécurité alimentaire?

 

Pierre : J’ai travaillé dans le milieu agricole, en génétique bovine. J’ai toujours eu un intérêt pour l’alimentation. Quand j’ai pris ma retraite, j’ai commencé à travailler dans une banque alimentaire qui s’appelle Aux sources du bassin. Parallèlement, j’ai toujours été très sensible à tout ce qui touche à la pauvreté, que ce soit ici ou ailleurs dans le monde. Je parraine depuis longtemps des enfants en Afrique et j’ai été membre pendant 20 ans du comité Centraide sur mon lieu de travail. Quand j’ai pris ma retraite, j’ai vu un article dans le journal sur Alternative Aliment-Terre, j’ai trouvé ça intéressant, je suis allé à l’assemblée générale et je me suis impliqué.

 

 S&S : Qu’est-ce qui vous a mené à accorder une telle importance à la sécurité alimentaire? Quelles sont les valeurs qui vous motivent en ce sens?

 

Pierre : Cela découle un peu de ma carrière en génétique bovine. Je suis très sensible au fait qu’au Québec, on perd chaque année beaucoup de terres agricoles malgré une loi censée les protéger. Je ne comprends pas que la population et les gouvernements ne soient pas plus conscients de cet enjeu qui nuit à notre autosuffisance alimentaire. Au début de la pandémie, la panique liée à la rumeur du manque de papier de toilette nous a montré ce qu’un manque de nourriture pourrait occasionner. Seulement 2% du territoire du Québec est cultivable; il faut préserver ces terres pour assurer notre sécurité alimentaire, l’équité et la paix sociale. Aussi, il y a la lutte contre le gaspillage alimentaire. Environ un tiers de ce qui est produit au Québec est gaspillé, alors qu’on pourrait nourrir beaucoup de personnes dans le besoin avec ces ressources.

S&S : Comment imaginez-vous la sécurité alimentaire dans la région de la Montérégie d’ici dix ans?

 

Pierre : Nous avons perdu beaucoup d’autonomie alimentaire au Québec par rapport à il y a 40 ans. Certes, nous avons des aliments venant de partout dans le monde, nous offrant une variété à l’année longue. Mais notre production locale a diminué. Premièrement, il faut arrêter le démantèlement des terres agricoles en renforçant la loi censée les protéger. Une loi de 1978 qui est souvent bafouée pour des intérêts économiques.

 

Ensuite, le gouvernement doit faciliter le transfert des terres agricoles, car l’âge moyen des agriculteurs est d’environ 60 ans et les jeunes ont beaucoup de difficultés à entrer dans ce domaine à cause des coûts et de la spéculation. Les prix des terres augmentent d’environ 10% par an, ce qui rend leur achat accessible uniquement aux grands lobbys agricoles, créant un problème supplémentaire. Il faudrait aussi obliger les entreprises à donner les invendus plutôt que de les jeter, par exemple, les épiceries, les distributeurs, les transformateurs et les restaurants. Il y a des initiatives comme un restaurateur à Québec qui a placé un frigo devant son établissement pour donner les aliments autrement gaspillés. Ce type d’initiative devrait être partout.

 

S&S : Quels sont les obstacles les plus importants que vous rencontrez dans votre travail auprès d’Alternative Aliment-Terre?

 

Pierre : Le financement. Jusqu’à maintenant, nous fonctionnons à 100% avec du financement gouvernemental. Nous avons un mandat de devenir autosuffisants, mais nous avons du mal à faire entrer nos produits transformés dans les épiceries. La marque n’est pas connue, et nous n’avons pas beaucoup de budget pour la faire connaître. Les espaces sur les tablettes sont très compétitifs et nous avons du mal à percer le marché. L’écoulement des produits est donc un enjeu.

 

S&S : Qu’est-ce que cet organisme apporte à la communauté?

 

Pierre : Nous apportons une certaine équité et solidarité sociale en offrant des fruits et légumes locaux aux plus défavorisés. Nous n’aimons pas voir des aliments se perdre au champ. En les récoltant, nous valorisons le travail effectué pour les produire et récupérons des aliments qui seraient autrement perdus. Cela revient à une question d’équité sociale, de partage, de redonner à la population.

 

S&S : Et pour vous, Pierre, qu’est-ce qu’Alternative Aliment-Terre vous apporte?

 

Pierre : À la retraite, c’est très valorisant de me sentir utile et de pouvoir faire une différence. En gros, cela donne un sens à ma retraite.

 

S&S : Pouvez-vous nous parler d’une récente réussite de votre organisation dont vous êtes particulièrement fier?

 

Pierre : Nous avons mis en place des frigos de partage, deux dans Chambly et sept sur l’ensemble de notre territoire. Ce sont des frigos où tout le monde est invité à apporter ses surplus alimentaires et à se servir. Cela fonctionne très bien, au-delà de nos attentes.

 

S&S : Quel impact positif cela a-t-il eu sur la communauté?

 

Pierre : Pour les gens de la classe moyenne comme moi, cela nous sensibilise encore plus aux surplus alimentaires et au fait qu’il y a des personnes dans le besoin.

 

S&S : Quel conseil donneriez-vous aux citoyens de la Montérégie pour réduire leur gaspillage alimentaire et soutenir une alimentation durable?

 

Pierre : Apprenez à cuisiner et planifiez les repas de la semaine à l’avance. Limitez les achats en gros format, comme ceux au Costco. Interrogez-vous sur votre façon de consommer, par exemple, nous n’avons pas besoin de manger des fraises en hiver. Encouragez des organismes comme Alternative Aliment-Terre et approvisionnez-vous dans nos différents points de vente.

 

S&S : Rencontrez-vous des difficultés à mobiliser le public autour de la lutte contre le gaspillage alimentaire?

 

Pierre : Oui, nous ne sommes pas très connus. C’est le problème de beaucoup d’entreprises en démarrage. Les gens sont réceptifs, mais il nous manque encore de la visibilité.

 

S&S : Qu’est-ce qui pourrait inspirer ou motiver les gens à se joindre à votre organisme?

 

Pierre : Si vous avez des valeurs de justice sociale, d’équité et d’environnement, cela vous donne de l’espoir. Vous voyez toutes les belles choses que nous pouvons faire. Cela peut aussi inspirer d’autres personnes, car nous avons l’opportunité de changer le monde, un légume à la fois.

 

En conclusion

 

Notre échange avec Pierre nous éclaire sur les enjeux de la sécurité alimentaire et les défis rencontrés par Alternative Aliment-Terre. Son engagement et ses idées pour un avenir meilleur sont inspirants. Chacun de nous peut contribuer à cette cause en adoptant de meilleures habitudes alimentaires, en soutenant les initiatives locales qui luttent contre le gaspillage alimentaire et en faisant pression sur nos paliers gouvernementaux pour modifier la réglementation.

 

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