Dany Hétu :
au cœur de la lutte
pour la sécurité alimentaire
en Montérégie
Dans cette entrevue, nous plongeons dans le quotidien de Dany Hétu, directeur de Moisson Rive-Sud, un organisme voué à la lutte contre l’insécurité alimentaire dans la région.
Fort de son expérience au sein de l’organisation, il nous partage sa passion pour la redistribution des denrées alimentaires, les défis auxquels il est confronté et les initiatives mises en place pour maximiser l’impact de son travail.
Dany nous éclaire également sur la perception complexe du public face à la charité et de la place qu’occupe l’économie circulaire dans ses activités.
Voici un échange enrichissant sur l’importance de la collaboration, de l’innovation et de l’engagement communautaire dans la lutte contre la faim !
S&S : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous impliquer dans le réemploi/revalorisation alimentaire ?
Dany : Je suis chez Moisson Rive-Sud depuis huit ans, et dès le début, j’ai réalisé que récupérer et redistribuer des produits en fin de vie n’était pas suffisant. On reçoit souvent des surplus massifs de certains produits sur une courte période, suivis de pénuries de ce même produit.
Par exemple, il nous arrive de recevoir énormément de palettes entières de brocolis, puis plus rien pendant des mois. Cette inconstance rend la planification difficile. Très tôt, j’ai compris qu’il serait crucial de prolonger la durée de vie de ces produits en les reconditionnant, par exemple en les congelant.
Toutefois, l’un des grands freins à cette approche a toujours été le manque d’espace. C’est pourquoi notre relocalisation en décembre prochain est si importante. Nous allons enfin avoir les installations nécessaires pour congeler et entreposer les surplus. Cela permettra de mieux gérer les ressources et éviter le gaspillage.
Ce travail est très stimulant pour moi, car il combine un fort potentiel d’aide pour nos concitoyens avec la réduction des pertes alimentaires.
S&S : Comment imaginez-vous le réemploi alimentaire en Montérégie dans dix ans ?
Dany : On travaille activement pour stimuler les dons alimentaires sur notre territoire. Par exemple, on a embauché un conseiller de partenariat pour maximiser les dons de denrées de la part des producteurs et distributeurs locaux. Une des pistes que l’on explore est de voir comment les inciter à nous donner davantage. Dans un concept où on se met à leur place et on se demande ce qu’ils pourraient en tirer comme bénéfices?
Par exemple, on pourrait demander à nos élu.e.s de favoriser des mesures fiscales auprès des producteurs ou distributeurs pour nous approvisionner de façon plus régulière. Il y a un potentiel énorme pour que l’économie circulaire prenne plus de place, non seulement dans le cadre de notre travail, mais aussi pour la société en général. Je crois fermement que cela pourrait nous rendre plus autonomes et renforcer notre production locale et notre sécurité alimentaire.
S&S : Quels changements majeurs espérez-vous voir ?
Dany : Au niveau fédéral et provincial, j’espère qu’on pourra mobiliser toutes les parties prenantes autour de la question de la sécurité alimentaire. Cela ne doit pas être uniquement l’affaire du gouvernement. J’aime dire qu’il faut tout un village pour élever un enfant, et cela s’applique aussi à l’alimentation.
Les entreprises, les producteurs, les distributeurs et les consommateurs doivent être tous autour de la même table pour trouver des solutions. On manque des opportunités, faute de concertation. L’industrie alimentaire ne connaît pas suffisamment les banques alimentaires, et cela nous empêche d’avancer efficacement. Il faut unifier nos efforts et créer des ponts entre les secteurs pour garantir que même les plus démunis aient accès à une nourriture saine, tout en permettant à l’économie de continuer à prospérer.
S&S : Quels sont les avantages économiques concrets du réemploi alimentaire ?
Dany : Partout au Canada, le problème n’est pas vraiment la quantité de nourriture, mais plutôt sa distribution. Comme le dit si bien un de mes collègues de Vancouver : « shortage of food is not the issue, distribution is ».
Prenons un exemple simple : si Vancouver a un surplus d’oranges, comment les faire parvenir efficacement jusqu’à nous ou à Halifax par exemple ? Le défi réside dans le transport, car plus une denrée prend du temps à voyager, plus le risque de perte augmente. En matière de nourriture, le facteur temps est essentiel : chaque jour perdu augmente les chances que le produit ne soit plus consommable à son arrivée.
Alors, comment gérer ce problème ?
Une des solutions pourrait être de transformer ces oranges en jus directement sur place, avant même qu’elles ne prennent la route. Le jus, comparé à l’orange fraîche, se transporte beaucoup plus facilement et se conserve plus longtemps. Cela permet non seulement d’éviter le gaspillage, mais aussi d’optimiser la valeur économique de ces produits.
C’est pourquoi la revalorisation et la transformation alimentaire doivent absolument être considérées comme des composantes essentielles de la lutte contre le gaspillage. Si on ne prend pas le temps de transformer ces aliments, on court le risque de perdre 100 % du produit, ce qui représente une perte énorme, tant sur le plan écologique qu’économique. En intégrant des pratiques de revalorisation, non seulement on réduit le gaspillage, mais on crée aussi des opportunités économiques, que ce soit pour les entreprises locales ou pour les organismes comme le nôtre, qui bénéficient de ces transformations.
S&S : Quels sont les obstacles les plus importants que vous rencontrez dans votre travail en réemploi alimentaire ?
Dany : Nous avons du mal à obtenir des denrées de qualité en quantité suffisante et de manière régulière. De plus, le financement est un souci constant. L’argent est essentiel pour notre fonctionnement, et le financement récurent est difficile à obtenir.
S&S : Comment les politiques et les réglementations influencent-elles vos activités ?
Dany : La Loi sur les bons samaritains est fantastique pour nous. Elle nous permet de redistribuer des produits en fin de vie sans craindre de poursuites si une personne tombe malade après avoir consommé un de ces produits. Grâce à cette loi, nous pouvons sauver une quantité considérable de nourriture qui serait autrement gaspillée. Cela aide énormément dans notre mission de récupérer et redistribuer les denrées alimentaires.
S&S : Rencontrez-vous des difficultés à mobiliser le public autour de la lutte contre le gaspillage alimentaire ?
Dany : La réponse est à la fois oui et non. D’un côté, on vit dans une société où les organismes à but non lucratif (OBNL) sont souvent perçus comme de la simple charité. Historiquement, on parlait de « charité chrétienne », un concept qui persiste aujourd’hui, où tout doit être gratuit, où les gens qui y travaillent ne sont pas censés être payés, ou s’ils le sont, ils devraient recevoir un salaire dérisoire. On associe encore trop souvent les OBNL à une sorte de pauvreté institutionnelle, alors qu’en réalité, ces organismes jouent un rôle crucial dans la société.
Cette question est complexe parce qu’elle touche à la perception même de ce qu’est un OBNL. Si nous investissons dans des outils modernes, des équipements de qualité ou des campagnes publicitaires pour sensibiliser le public, on se fait parfois critiquer. L’idée reçue, c’est qu’un OBNL doit fonctionner avec des ressources minimales et des moyens limités, alors que pour bien faire notre travail, nous avons besoin de financement adéquat. Cette stigmatisation autour de la charité est un frein à la mobilisation générale. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour changer cette mentalité et faire comprendre que lutter contre le gaspillage alimentaire, c’est un travail de fond qui nécessite des moyens financiers, humains et techniques importants.
S&S : Pouvez-vous partager une récente réussite dont vous êtes fier ?
Dany : Le projet de relocalisation est sur le point d’aboutir. D’ici décembre, nous déménagerons dans nos nouveaux locaux sans avoir eu besoin de contracter une hypothèque, pour un projet de 12,5 millions de dollars. Ce projet est un rêve depuis mon arrivée chez Moisson Rive-Sud, et cela fait trois ans que nous travaillons activement pour le concrétiser.
S&S : Quel impact cela aura-t-il sur la communauté ?
Dany : Ce déménagement aura un impact énorme sur la communauté. Nous allons quadrupler notre capacité d’entreposagenque ce soit pour les produits secs, réfrigérés ou congelés. Notre objectif est de passer de 4,5 millions de kilos de nourriture distribuée par an à 7 millions d’ici trois ans. En plus, nous allons pouvoir reconditionner des produits, ce qui nous permettra d’offrir une variété et une régularité plus intéressantes pour ceux que nous desservons.
S&S : Comment les citoyens peuvent-ils s’impliquer dans la sécurité alimentaire ?
Dany : Il y a plusieurs façons de s’impliquer : donner de l’argent, des denrées, ou même du temps. Chaque contribution compte. Ce qui est moins connu, c’est à quel point le temps est précieux pour nous. Même une heure de bénévolat peut faire une différence. Je pense aussi que les entreprises devraient s’impliquer davantage.
Chaque geste, chaque don, petit ou grand, contribue à renforcer notre action.